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Au coin du divan
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17 janvier 2008

Le fugueur

Il, a eu quatorze ans cet automne. Il, vit dans un foyer à une vingtaine de kilomètres du collège. Il, durant les deux premiers mois de la rentrée scolaire a passé son temps entre faire le bazar en cours, ne pas y assister et fuguer. Il,depuis mon arrivée au collège, en octobre, a intégrée ma classe deux jours par semaine, durant les sept heures de la journée scolaire. Il, est en quatrième. Il est M.

J'ai tissé des liens spéciaux avec lui, durant ces trois mois. Durant quelques semaines je n'avais que lui et mes groupes lecture de sixième à m'occuper. Aussi j'étais très disponible. Par petites bribes, M. s'est un peu raconté, son histoire, ses aspirations, son manque de sa maman, ses difficultés en classe, non par manque de capacité mais par grandes lacunes. Il m'a également raconté, à petites touches mesurées le foyer et sa dure loi. Pour lui, il est comme une prison.

Ma classe est une petite structure où viennent les enfants en difficultés scolaires et au comportement quelque peu perturbateur. Je n'ai que huit élèves maximum, de la sixième à la troisième.

Pour M. tout allait de mieux en mieux. Je l'avais apprivoisé, il me faisait confiance, et moi aussi. Jusqu'à la rentrée de janvier.  Ce fut difficile pour lui de reprendre le rythme après ces quinze jours passé dans sa famille. Ce fut difficile pour lui de devoir travailler en autonomie tandis que j'essayais de gérer des élèves échus dans ma classe en sanction pour un premier trimestre désastreux. Alors, devant l'ambiance dégradée, M. a commencé à se laisser aller à ses mauvaises habitudes, ce qui m'a conduite, le deuxième jour de sa présence à lui mettre une colle pour ce mardi ci. Il n'y croyait pas, juqu'au moment où il a enfin réalisé que je ne bluffais pas.

Mardi, M., toujours le premier, n'arrive pas. Dans la matinée, la CPE m'apprend qu'il est en fugue depuis le matin. L'inquiétude me gagne et les remords aussi. Suis-je pour quelque chose dans sa fugue ? Ai-je été trop sévère ? N'ayant aucune formation d'enseignante, ni d'expérience, j'avais pris conseil auprès d'un de ses professeurs. Parce qu'il avait repris le travail, M. depuis la rentrée de Toussaint a réintégré les cours de Français durant ses deux jours de présence. J'avais pris conseil auprès de la CPE également. Et la colle devait avoir lieu ce mardi, durant son temps dans ma classe. Je lui avais préparé un travail sur un nouveau chapitre de géographie. Son livre, mon cours, quelques questions... de quoi le tenir occupé durant une heure, qu'il devait passer à la vie scolaire. Mais le mardi, point de M.

Le mercredi toujours pas de nouvelles de lui... Mon inquiétude était grande... Où était-il ? Ce matin, toujours pas de M. à huit heures... Et puis à la demi, une surveillante l'amène... Il s'asseoit à son bureau, celui que j'occupe quand il n'est pas là. Il n'a pas l'air bien, il a le regard triste, et fatigué. Il est tout crotté et grelotte dans ses vêtements humides et boueux. On commence par ranger un peu ses affaires de français, d'histoire, de SVT, puis il s'attelle à une carte politico-géographique à compléter. Puis je me consacre à un de mes groupes lecture, un qui marche bien, mais qui bute sur un difficile exercice, celui qui clotûre la séquence. Je me retourne et il dort... Je le laisse... J'ai le coeur attendrie, mon inquiétude s'est envolée en partie. Le reste de la matinée, je travaillerai seule, et lui dormira...

L'après-midi, il est un peu reposé, il a le ventre plein, et se sent mieux. Je lui propose le film du livre qu'il doit étudier en classe de français (en accord avec son prof). Il y a avec lui un sixième, avec qui il a fugué, un enfant en grande difficulté comme les appelle notre infirmière scolaire. Nous attendons que la maman de M. arrive, pour aller dans le bureau de la CPE, tandis que le sixième attendra que je revienne dans le hall d'accueil, recroquevillé sur sa chaise il finira par s'y endormir.

La maman semble être dépassée par tout ça, la fugue, l'emploi du temps aménagé que le foyer n'a pas pris le temps de lui expliquer vraiment, la présence de deux femmes du collège (la CPE et moi). Elle mesure la gravité mais avoue ne pas trop savoir comment gérer tout ça. Nous lui disons notre contentement devant le travail de M. depuis l'aménagement de son temps au collège, note envie de l'aider encore bien ancré en nous. Nous la rassurons comme nous pouvons. Puis M. tente de nous expliquer son geste. C'est que deux jours dans la nature, en plein hiver (même s'il ne fait pas très froid), sans manger, sans presque dormir... et bien cela fait réfléchir. Et notre M. a beaucoup réfléchi sur son acte, un appel au secours, un acte de découragement, un manque de sa famille, une perte de ses repères avec moi... et puis une gifle d'un éducateur et la petite bombe qu'est cet adolescent en difficulté éclate. Le directeur du foyer arrive et M. se renferme un peu plus. La réunion se termine et il file en français.

Après la récréation, il revient pour la dernière heure. Je l'installe, un casque sur les oreilles devant son film, tandis que je m'attele à la dure tâche de mon plus difficile groupe de lecture.

Enfin la cloche sonne, ils partent tous, et en même temps, M. et moi, nous nous disons "Bon week-end et à mardi !"

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